Le verre semble déjà à moitié plein : à $ 40 le baril et plus pour le Brent comme pour le WTI …

Le pétrole à la croisée des quotas

Le verre semble déjà à moitié plein : à $ 40 le baril et plus pour le Brent comme pour le WTI (celui-là même qui pendant quelques heures avait fait $ 40 mais en négatif !) une bonne partie du chemin a été parcourue pour revenir au « graal » des $ 60 d’équilibre « fiscal » pour la plupart des producteurs.
Mais voilà le verre vide : cela a un coût, celui d’une baisse de production de quelque 10 millions de barils/jour (mbj) que les pays de l’OPEP voudraient bien diminuer un peu (à 7 ou 8 mbj) sans être vraiment sûrs que la demande sera là. Et encore, grâce aux États-Unis et à leurs embargos, le Venezuela et l’Iran ont été pratiquement rayés de la carte pétrolière mondiale. Mais, à $ 40 le baril justement, certains pétroles de schiste redeviennent rentables même si l’activité de forage de nouveaux puits demeure très faible.
Les niveaux actuels ne se maintiendront que tant que les producteurs accepteront de respecter leurs engagements, tant que l’Arabie saoudite et la Russie accepteront de jouer le jeu et de compenser les dépassements de l’Irak ou du Nigeria. Mais une fin d’année autour de $ 30 demeure notre scénario central.
Quant au gaz naturel, qu’il s’agisse de celui qui transite par gazoduc ou du GNL, ses prix ont légèrement rebondi, mais restent à des niveaux historiquement déprimés, inférieurs aux coûts de production, parfois même à prix négatif, ce qui explique la reprise du torchage au-dessus des puits de pétrole. Ceci étant, par rapport au marché spot, les prix des contrats, en partie indexés sur le pétrole, restent un peu plus favorables.

Abondances agricoles

Quant aux marchés agricoles, ils restent marqués par d’excellentes conditions climatiques : la mousson est abondante en Inde, l’Australie se prépare à des récoltes historiques… Résultat, le monde devrait produire en 2020/2021 quelques 3 340 millions de tonnes de grains. Seule parmi les grands exportateurs, l’Union européenne devrait s’inscrire en net recul pour l’essentiel du fait de la baisse de production de blé en France (31,3 mt contre 39,5 mt l’année précédente). Ceci a permis de maintenir les cours du blé européen au-dessus de € 180 la tonne (fob Rouen).
Mais c’est vers la Chine que se tournent désormais tous les regards. En dépit des tensions sino-américaines, la Chine s’est tournée de plus en plus vers les États-Unis pour se fournir en soja, maïs (des achats records fin juillet) et viandes, surtout de porc. Mais ces achats ne compenseront pas l’augmentation attendue des productions américaines qui bénéficient pour l’instant aussi de conditions climatiques optimales (il se dit même que les États-Unis pourraient approcher de la barre mythique des 400 mt de maïs !).
Pour les produits tropicaux, l’heure est bien à la morosité : autour de 12 cents la livre, le sucre continue à souffrir de la faiblesse du réal brésilien. Des excédents pèsent aussi sur les marchés du café et surtout du cacao revenu en dessous de $ 2 300 la tonne et qui « souffre » lui aussi de bonnes conditions climatiques augurant d’une bonne récolte principale en Côte d’Ivoire et au Ghana. Le prix du cacao risque de peser lourd dans une campagne électorale ivoirienne marquée par le retour de vieux adversaires, les présidents Ouattara et Bédié.

En attendant…

Le monde vit donc ces dernières semaines d’été dans l’hémisphère nord sous la menace d’un Covid plus insaisissable que jamais. L’espérance d’un net rebond économique dès l’automne reste légitime, mais procède quand même d’un certain optimisme.
Et puis, l’essentiel n’est pas là : cette crise marque une rupture qui n’est pas seulement conjoncturelle. Elle a mis en évidence en bien des pays les faiblesses de l’État-providence. Elle a fragilisé des chaînes de production fondées sur l’exploitation de main-d’œuvre presque servile par quelques « manipulateurs de symboles ». Elle a cruellement illustré ce « grand désordre du monde » dont nous avions fait un des sous-titres du CyclOpe 2020. Il va nous falloir beaucoup de patience pour commencer à imaginer le « monde d’après ».

 


 

Brèves de marchés

L’argent a vu son prix doubler entre le mois de mars ($ 11,6 l’once) et le 22 juillet (plus de $ 22 l’once). Alors que la production minière devrait diminuer (Covid en Amérique latine), la demande (panneaux solaires, électronique) augmenterait. Citi anticipe $ 25 l’once, Goldman Sachs $ 30.

Le marché du cuivre est soutenu par la baisse de la collecte de « scrap ». Roskill l’estime à une perte de 500 000 tonnes, un chiffre que l’ICSG estime même sous-estimé. Le cuivre recyclé représente 35 % de la consommation mondiale.

Si l’or flambe, le diamant souffre. Au deuxième trimestre De Beers n’a vendu que $ 56 millions de diamants bruts, 96 % de moins qu’en 2019. Pour Alrosa, les ventes du premier semestre sont en baisse de 47 % à 10,1 millions de carats. Ni De Beers ni Alrosa n’ont baissé leurs prix et les stocks ont augmenté.

Le rendement moyen du blé en France serait cette année de 71 quintaux à l’hectare contre 79 quintaux en 2019.

Le marché du zinc serait en net excédent cette année : 500 000 tonnes d’après Citi, 485 000 tonnes d’après CRV. Il y aurait un million de tonnes de stocks non enregistrés un peu partout dans le monde.

La Chine s’est engagée à importer pour $ 36,5 milliards de produits agricoles américains en 2020 (25 % de plus que les importations record de $ 29 milliards en 2013). Normalement, le soja en représente la moitié et il faudrait que la Chine achète chaque mois pour $ 2,8 milliards de soja pour tenir cette partie de son engagement (et avec des prix du soja en baisse…). Pour l’instant, sur les cinq premiers mois de l’année, la Chine en était à $ 6 milliards au total. Au second semestre – en pleine guerre des consulats –, il faudrait que la Chine réalise $ 25 milliards d’achats agricoles aux États-Unis ! Fin juillet, elle commençait à rattraper son retard avec des achats massifs de soja et de maïs.

Le 22 juillet s’est ouvert à Manchester une audition pour juger de la recevabilité de la plainte de 220 000 Brésiliens contre BHP à propos de la rupture des barrages de Fundao en 2015. Il s’agissait des résidus de mines de Samarco, une joint venture entre BHP et Vale produisant du minerai de fer. La plainte porte sur $ 6,3 milliards.

CDM Group, spécialiste de l’analyse des marchés des métaux, anticipe un prix de l’or de $ 1 819 l’once en septembre 2020 et un pic de $ 2 500 vers 2023/2025.

À la mi-juillet, le panel des analystes de Reuters donnait les prix moyens des métaux au dernier trimestre 2020 : $ 6 173 pour le cuivre (avec un excédent de 145 000 tonnes), $ 1 645 pour l’aluminium (excédent de 2,7 mt), $ 13 500 pour le nickel (excédent de 100 00 t), $ 2 050 pour le zinc (excédent de 403 000 t).

D’après Berry Callebaut, le marché mondial du cacao serait en excédent de 317 000 tonnes en 2020/2021 après u excédent de 6 000 tonnes en 2019/2020. Le marché s’est effondré à moins de $ 2 000 la tonne. En Europe, les broyages ont diminué de 9 % au deuxième trimestre. Et les pluies en Côte d’Ivoire laissent augurer une bonne récolte principale.

La filière huile de palme est en crise en Malaisie : 84 % de la main-d’œuvre dans les plantations est immigrée (Bangladesh, Indonésie) et le gouvernement maintient la fermeture des frontières.

La Thaïlande n’exporterait en 2020 que 6,5 mt de riz, au plus bas depuis vingt ans. Sur le premier semestre, les exportations n’ont été que de 3,14 mt contre 4,55 mt pour l’Inde et 4,04 mt pour le Vietnam. Par contre, la Thaïlande augmente ses exportations de riz de qualité au jasmin.

Le sondage réalisé par Reuter sur le marché de l’or donne une moyenne de $ 1 713 l’once en 2020 et de $ 1 800 en 2021 ($ 350 de plus que le sondage réalisé en avril). L’argent serait à $ 17,50 et $ 20,03 respectivement. Pour le palladium, on aurait $ 2 050 et $ 2 138 et pour le platine $ 836 et $ 945.

Le programme américain d’aide alimentaire, « Farmers to Families Food Box Program » s’est révélée plus difficile à mettre en œuvre que prévu : au 30 juin, 27,5 millions de colis alimentaires avaient quand même été livrés pour un montant de $ 755 millions, ce qui représente 63 % du programme prévu. Au total, $ 3 milliards sont prévus pour ce programme parrainé par Ivanka Trump.

La hausse des prix de l’or est notamment entretenue par les achats des ETF : 104 tonnes en juin ce qui fait 734 tonnes pour le semestre et un magot total de 3 620 tonnes, ce qui représente $ 206 milliards. Le 8 juillet, l’once d’or est passée au-dessus de $ 1 800 l’once pour la première fois depuis 2011. le 28 juillet, l’or a battu son record à $ 1 980. Et Goldman Sachs a publié une prévision à douze mois fin juillet à $ 2 300 (et à $ 30 pour l’argent).

D’après Jim Lennon, l’analyste le plus reconnu du marché du nickel, il devrait y avoir en 2020 un excédent de 115 000 tonnes soit 5 % de l’offre mondiale. Wood MacKenzie anticipe un excédent de 140 000 tonnes en 2020 et de 130 000 tonnes en 2021.

En juin, la Chine a acheté 1,36 mt de maïs, 765 000 tonnes sur la campagne en cours et 600 000 tonnes pour la prochaine campagne. C’est le montant le plus élevé depuis 1994. Le 14 juillet, ce sont 1,7 mt sur la campagne 2020/2021 qui ont été achetés.

La mousson est excellente en Inde avec des pluies supérieures de 14 % à la moyenne. Ceci a favorisé une augmentation des ensemencements : 12 mha de riz (+ 25 %), 10,5 mha de coton (+ 30 %) 13,9 mha d’oléagineux (+ 80 %) et 6,4 mha de fèves (pulses, + 150 %).

On se souvient de la sécheresse de cet hiver en Australie et des incendies. Depuis, la situation a changé et l’Australie devrait réaliser une récolte exceptionnelle de grains : 26,7 mt de blé (+ 75 %) et peut-être même 30 mt contre une moyenne décennale de 24 mt. Ensuite, il faudra vendre… et on retrouve là les problèmes avec la Chine (pour l’instant limités à l’orge).

L’Australien Fortescue, le quatrième producteur mondial de minerai de fer a vendu 47,3 mt au deuxième trimestre 2020 pour un prix moyen de $ 80,64 la tonne (86 % de l’indice Platts cf Chine). Les coûts de production étaient de $ 13,02, ce qui laisse une certaine marge ! Ceci étant, l’ABARE, l’organisme d’études et de prévision officiel, prévoit une forte baisse du prix du minerai de fer à $ 55 la tonne (fob Australie) en fin d’année.

C’est l’Australien Lynas Corp que le Pentagone a choisi pour construire une raffinerie de terres rares au Texas (un projet de taille modeste $ 36 millions).

Énergie

La chute des prix du GNL a provoqué la remise en cause d’une vingtaine des 45 projets de liquéfaction dans le monde. Cela représente un total de $ 292 milliards d’investissements.

L’EIA américaine commence à réviser en hausse ses estimations pour la production pétrolière américaine en 2020 à 11,63 mbj, une baisse de seulement 600 000 bj par rapport à 2019. Pour l’EIA, la consommation mondiale diminuerait en 2020 de 8,15 mbj à 92,89 mbj.

Le raffineur indien Reliance va réaliser une opération de swap pétrole contre diesel avec le Venezuela. Celle-ci serait autorisée par les autorités américaines pour des raisons « humanitaires ».

En juin, la Chine a importé acheté au moment des « soldes ». Sur les six premiers mois de l’année la moyenne est de 10,78 mbj (+ 10 %).

D’après l’OPEP, la demande mondiale de pétrole diminuerait en 2020 de 8,95 mbj avant d’augmenter de 7 mbj en 2021 sauf nouvelle dégradation dans les pays occidentaux liée au Covid. En 2021, la demande faite à l’OPEP augmenterait à 29,8 mbj (+ 6 mbj). L’OPEP estime que la production non-OPEP diminuerait de 3,26 mbj en 2020 avant d’augmenter de seulement 920 000 bj en 2021 (ce qui paraît bien optimiste). En juin, l’OPEP n’a produit que 22,27 mbj pour une demande moyenne estimée en 2020 à 23,8 mbj. ceci étant, les stocks dans les pays industrialisés continuent à augmenter à 3 167 milliards de barils, 210 millions de barils au-dessus de la moyenne quinquennale.

En juin, le Venezuela a produit 393 000 bj de pétrole, le niveau le plus bas depuis… février 1945 ! Les exportations auraient été de 379 000 bj, mais 9 millions de barils étaient stockés sans possibilité d’exportation.

Le stockage flottant du GNL commence à se développer. À la mi-juillet, il y avait une trentaine de méthaniers tant en Asie qu’en Europe, affrétés pour la plupart par des traders jouant sur l’attente de prix plus élevés pour la saison d’hiver : il y a $ 2 par mbtu de différence entre les échéances de septembre et de décembre et les taux de fret pour les méthaniers sont restés déprimés. Ceci étant, les prix spot du GNL en Asie remontaient un peu à la fin juillet ($ 2,40 le mbtu contre $ 1,35 fin mai).

On parle de manière insistante d’un accord « pétrole contre infrastrucutures » entre l’Iran et la Chine à hauteur de $ 400 milliards.

L’OPEP+ a décidé de maintenir d’août à décembre une réduction de 7,7 mbj de pétrole. Ceci étant, sur août et septembre, les coupures seraient plutôt de l’ordre de 8,1 à 8,3 mbj certains pays devant rattraper leur retard.

Entre avril et mai, les exportations de pétrole de l’Arabie saoudite ont diminué de 41 %, de 10,2 à 6,02 mbj.

Même si à $ 40 et plus le baril, le pétrole est revenu dans la zone de rentabilité pour les producteurs de pétrole de schiste, le rebond de production ne sera que temporaire. En effet, la durée de vie des puits étant très courte, il faut constamment faire de nouveaux forages. Ceux-ci étant au plus bas, la production américaine devrait rechuter à l’automne.

Sur le marché du GNL, la situation des contrats à long terme est plus favorable que sur le marché spot. Ainsi, le producteur australien Santos a obtenu en moyenne sur avril/juin $ 8,27 le mbtu, à peu près quatre fois le prix spot. Dans ce cas, le prix du GNL est indexé sur le pétrole avec trois mois de retard, c’est-à-dire avant le contre-choc de mars.

Le Mexique s’apprête à lancer son programme d’arbitrage sur les exportations de pétrole. Pour 2020, le Mexique s’était garanti un prix de $ 49 le baril. Quant au Nigeria, il a trouvé $ 1,5 milliard de cash sous forme de prépaiement auprès des traders Vitol et Matrix qui obtiendront chacun 15 000 bj pendant cinq ans.

Malgré la crise, les États-Unis ont exporté un record de 26,5 mt de GNL entre janvier et juillet (+ 41 %). Rystad anticipe une production américaine de GNL en 2020 (par essence pour l’exportation) de 55 mt (+ 53 %).


To subscribe to the Monthly Report or Cyclope events please contact us at cyclope@ampersandworld.ch

Subscribe Now


 

About Cyclope Circle

Cyclope is a study group specialised in the analysis of global raw materials and commodities markets. It takes its name from the Cyclope Yearbook published every year since 1986 by Editions Economica.

Cyclope is headed by Philippe Chalmin (Blog), professor at the University of Paris-Dauphine and a consultant to international organisations (OECD, EEC, UNCTAD).

The study group functions as an international network and brings together more than 50 market specialists from around the world.

 

About the Yearbook

The Cyclope Report plunges the reader into the arcana of all of the commodity markets, from apples to zirconium, including textiles, soya, automobiles and even art.

Edition after edition, it has become the essential reference work for this particularly volatile universe. It likewise offers precious background analyses of the weight and responsibility of China, for example, or of the WTO’s Doha Round negotiations, or the development of the recycling markets, etc.

Cyclope also offers the reader an overview of the tensions and conflicts of globalisation and the international economy.

The Cyclope Report is produced by an international team of economists, journalists and professionals under the direction of Philippe Chalmin and benefits from the support of more than thirty French companies.