Si la pandémie du coronavirus est loin d’avoir atteint son pic d’intensité au niveau mondial, l’heure est au déconfinement dans nombre de pays malgré l’appréhension que suscite l’éventualité d’une « deuxième vague » qui, il y a un siècle, avait été plus mortelle que le premier épisode de la grippe espagnole.

C’est bien sûr, le cas en Chine qui en a fait un thème majeur d’une propagande sanitaire d’autant plus « lourde » que le nombre exact dedécès dus au coronavirus dans l’Empire du Milieu suscite la polémique (le chiffre de 100 000 morts qui circule paraît plus réaliste que les moins de 4 000 officiellement annoncés…) et alors même que des doutes commencent à s’installer quant  à la responsabilité de la Chine dans la propagation et même la « fabrication » de cet étrange virus. De manière plus générale, le débat sur le bilan humain exact du coronavirus reste ouvert : des calculs fondés sur la surmortalité enregistrée ces dernières semaines donnent des résultats multipliant par deux ou plus les données officielles de 117 000 morts en début de semaine.

Cette incertitude pèse aussi sur les données économiques, et les premiers chiffres « réels » qui tombent ne font que confirmer l’ampleur d’une crise dont nul n’aurait imaginé la profondeur il y a seulement quelques semaines ; le pétrole en a encore été la victime, le marché n’accordant que peu de crédit aux efforts des producteurs. Pour les autres commodités, tous les regards se tournent vers la Chine, plus que jamais, l’importateur de derniers recours.

3 % de récession mondiale ?

Le FMI est la première organisation internationale à s’être jetée à l’eau en présentant (pour ce qui aurait dû être le grand rendez-vous de Washington des assemblées générales du Fonds et de la Banque) ses premières prévisions « post-coronavirus ». L’économie mondiale reculerait de 3 %, ce qui est à peu près dans le consensus, mais qui représente une différence de 6 % de PIB par rapport aux prévisions précédentes qui étaient de 3 % (mais positives). La zone euro reculerait de 7,5 %, le Royaume-Uni de 6,5 %, les États-Unis de 5,9 % et le Japon de 5,2 % : cela fait une moyenne des pays avancés de – 6,1 %. Le reste du monde ne plongerait que de 1 %, ceci s’expliquant par une croissance annuelle restant positive pour l’Inde (+ 1,9 %) et la Chine (+ 1,2 %). Mais l’Amérique latine reculerait de 5,2 % et de son côté, la Banque mondiale anticipe une croissance négative de l’Afrique subsaharienne pour la première fois depuis vingt-cinq ans (et – 3,4 % pour le Nigeria, – 5,8 % pour l’Afrique du Sud). Bien sûr, le FMI anticipe un net rebond de rattrapage en 2021 (+ 9,1 % pour la Chine, + 4,7 % pour les États-Unis), mais faire des prévisions pour 2021 apparaît à ce jour bien aléatoire : « après la pluie, le beau temps » disait la Comtesse de Ségur.

Ceci étant, ces prévisions apparaissent presque trop « raisonnables » et il existe sur le marché bien des Cassandres beaucoup plus pessimistes campant sur des reculs à deux chiffres. Ainsi pour la France, le FMI prévoit une chute de 7,2 %. Mais Bercy est plus pessimiste et le projet de loi de finances rectificative est bâti sur 8 % tandis que le Medef parle de 11,8 % ! Pour les États-Unis, les – 5,9 % affichés semblent bien optimistes et ne tiendront que si Donald Trump gagne son pari d’un déconfinement rapide et de l’absence d’extension de la pandémie au-delà des États pour l’instant les plus touchés. Et pour l’instant, le nombre d’inscrits au chômage ne cesse d’augmenter pour atteindre à la fin de la semaine dernière 22 millions de personnes (+ 5,2 millions) soit 14,5 % de la population active. Les États-Unis ont connu en mars la plus forte baisse de la production industrielle mensuelle enregistrée depuis 1946 (– 5,4 %) et un recul de 8,7 % des ventes de détail (et de 50 % pour les ventes d’habillement).

Mais, le plus inquiétant apparaît désormais dans la situation des pays émergents ou encore en développement. C’est notamment le cas de l’Amérique latine et bien sûr du Brésil où Jair Bolsonaro a perdu toute crédibilité (il vient de limoger son ministre de la Santé). Pour l’instant, les pays membres du G20 se sont seulement mis d’accord sur un moratoire d’un an du service de la dette des pays les plus pauvres. Il est vrai que pour nombre d’entre eux, à côté du coronavirus, il y a aussi les conséquences du contre-choc pétrolier.

L’OPEP+ n’a pas convaincu.

Finalement, l’accord conclu par les pays de l’OPEP+ portait sur 9,7 mbj, puisque le Mexique avec le soutien des États-Unis a eu gain de cause et n’a limité sa production que de 100 000 bj. Mais à partir de ce chiffre, la communication des pays producteurs, et au premier chef de l’Arabie saoudite, a beaucoup extrapolé allant jusqu’à parler d’une réduction de près de 20 mbj : au sens large, on y serait presque : la baisse de 9,7 mbj en mai est en fait de 12,4 mbj si on la compare au seul mois d’avril, lorsque les robinets avaient été grands ouverts (mais de 7,2 mbj si on la compare à la moyenne de production du premier semestre 2020). À cela, on ajouterait 3,7 mbj de diminution des pays extérieurs à l’OPEP+ (États-Unis, Canada, Norvège, Brésil) ; pour les États-Unis, acceptons le chiffre de l’EIA d’une baisse de 400 000 bj en mai et peut-être de 1,75 mbj en octobre. Il y aurait enfin des engagements de stockage supplémentaire de 200 millions de barils en deux mois, soit encore à peu près 3 mbj. En additionnant tout ceci avec une certaine dose d’optimisme, on arrive donc presque à 20 mbj. Le problème est que le marché n’y a pas cru et a terminé la semaine en dessous de $ 30 le baril pour le Brent, de $ 20 pour le WTI américain (et il s’agit là des prix des contrats de futures en très net contango : le WTI est à $ 37 sur le printemps 2021). Non seulement les calculs ont laissé dubitatifs même si l’effort est incontestable. Mais le repli de la consomma tion est autrement impressionnant : l’AIE l’estime à 29 mbj en avril, 26 mbj en mai, 15 mbj en juin, là encore avec des hypothèses sanitaires optimistes (sur l’année, l’AIE table désormais sur un recul moyen de 9 mbj). Entre le 13 mars et le 3 avril, la seule consommation américaine a diminué de 7 mbj (un tiers), dont 4,6 mbj pour l’essence (– 48 %), et 1 mbj pour le kérosène (– 56 %). Le consultant scandinave Rystad estime à 27,4 mbj l’excédent mondial en avril (nous parlons d’un marché qui raisonne sur 100 mbj). Partout, on ne cesse de stocker et les capacités à terre sont remplies à 83 %. On signale ainsi des embouteillages de tankers de produits raffinés dans l’attente de décharger en Europe dans la zone ARA (Anvers-Rotterdam). Tous les producteurs souffrent : pour la Russie le passage de 11,24 mbj (avril) à 8,5 mbj (mai) représente une perte équivalente à 1,2 % du PIB. Mais l’Arabie saoudite devra passer de 12,4 mbj à 8,5 mbj. Aux états-Unis, c’est « Black April for the oil industry ». Un signe ne trompe pas : les banques (J. P. Morgan, Wells Fargo, Citicorp) sont en train de créer des filiales dédiées pour gérer les actifs qu’elles vont récupérer dans la production de pétrole et de gaz. Ce sont 240 000 emplois qui pourraient disparaître. La Texas Railroad Commission (qui est le régulateur de l’énergie au Texas) devrait voter sur le principe de la diminution de la production le 21 avril et des auditions sont prévues dans l’Oklahoma le 11 mai. Mais même dans une situation pareille, le principe de telles mesures coercitives heurte le farouche libéralisme du Texas. Pourtant, Rystad estime que plus aucune entreprise ne dégage vraiment de bénéfices en dessous de $ 42 le baril (à ne pas confondre bien sûr avec un coût de production marginal beaucoup plus faible).
Malgré tout, on ne peut négliger l’effort consenti par les producteurs qui peuvent difficilement aller plus loin. Les semaines à venir seront les plus difficiles, les marchés prenant de plein fouet la baisse de la consommation. L’avenir seul dira si celle-ci peut être plus profonde que les 30 mbj déjà intégrés par le marché. Mais si on en reste là, les prix du baril pourraient évoluer dans les mois à venir entre $ 25 et $ 30 pour le baril de Brent. En ces circonstances, c’est là presque une prévision optimiste !

Enfin, dans le champ de l’énergie, outre la poursuite du marasme des prix du gaz naturel, signalons une forte baisse en avril des prix du charbon (– 13 % en Australie, – 18 % en Indonésie) en partie liée au confinement indien, alors qu’au contraire les importations chinoises continuaient à progresser, comme d’ailleurs pour presque tous les minerais et métaux.

La Chine à la rescousse

Au premier trimestre 2020, le PIB chinois a reculé de 6,8 %, ce qui n’était jamais arrivé depuis que la Chine produit des statistiques trimestrielles en 1992. Parmcontre, en mars, la production industrielle ne s’est repliée que de 1,1 % (après 13,5 % sur janvier-février). Ceci étant, la plupart des importations chinoises sont restées à des niveaux élevés, voire ont progressé. Ainsi, en mars, la Chine a importé 85,9 mt de minerai de fer (– 0,6 %), mais une progression sur le trimestre de 1,3 %. Les importations de charbon, évoquées plus haut, ont progressé de 18,5 % (28 % sur le trimestre), celles du pétrole ont été même de 9,68 mbj (+ 4,5 %) avec une moyenne pour le trimestre de 10,2 mbj (+ 5 %). Dans le cas du pétrole, il y a eu certainement du stockage puisque les tonnages traitées par les raffineries (raffineries runs) sont sur le trimestre en baisse de 4,6 % à 11,98 mbj.

Dans le domaine des métaux non ferreux, là aussi la Chine reste sur une tendance positive : la production des dix principaux non ferreux a progressé de 2,7 % pour l’aluminium, alors même qu’une bonne moitié des smelters chinois perdent de l’argent au cours actuels (la production d’aluminium a quand même baissée de 1,6 % en mars). Les importations chinoises de cuivre-métal (unwrought) ont progressé de 13 % en mars, de 9 % sur le trimestre. C’est là un des éléments qui explique la relative fermeté des cours des métaux à la notoire exception justement de l’aluminium et du nickel (l’Union européenne vient de mettre en place des taxes antidumping sur les inoxydables en provenance de Chine et d’Indonésie). Le cuivre est ainsi fermement au-dessus de $ 5 000 la tonne, avec des prévisions moyennes d’excédent en 2020 de 337 000 tonnes (et une fourchette de prévisions extrêmes allant de 20 000 à 920 000 tonnes). De manière générale, la demande mondiale de métaux non ferreux baisserait de 5 à 6 % en 2020, ce qui sera en partie compensé par des baisses de production liées au confinement ou à la diminution de la collecte pour le recyclage. C’est ce qui explique la bonne tenue du plomb et surtout de l’étain qui profite de fermetures de mines et d’usines au Pérou, au Brésil et surtout en Malaisie. La Malaisie a d’ailleurs une position stratégique en ce qui concerne les terres rares avec pratiquement la seule unité de production d’oxydes en dehors de la Chine. À partir de minerais
australiens, Lynas y produit en particulier du Neodymium Praseodymium (NdPr) utilisé pour les ventilateurs médicaux et son usine est à l’arrêt du fait du confine-
ment décidé par le gouvernement malaisien (mais la Chine a augmenté de 19 % ses exportations de terres rares en mars).

Le confinement, cette fois indien, pourrait avoir des conséquences négatives sur le marché de l’or dont le rebond a pourtant été spectaculaire sur fond d’inquiétudes économiques. En effet, le confinement indien a mis un terme aux grands festivals religieux et risque de remettre en cause la « saison des mariages », le grand moment de la « consommation » d’or en Inde : de 690 tonnes en 2019, la demande indienne pourrait tomber à moins de 400 tonnes alors que les boutiques des joailliers sont fermées !

Des marchés agricoles entre abondance et peur de manquer.

Si le confinement est agréable pour certains en Europe avec un soleil printanier, le manque de pluie commence à inquiéter surtout à l’Est vers l’Ukraine et la Russie
(il a quand même plu un peu en début de semaine !). Mars a été très sec, ce qui n’est pas de bon augure pour les emblavements de printemps. Pour l’instant, cependant,
les autorités russes tablent sur une augmentation des surfaces cultivées et les prévisions de productions céréalières (125 à 130 mt) sont supérieures à la production de
2019 (121 mt). Ces inquiétudes « hydriques » ont en tout cas contribué à soutenir les cours du blé alors que la fin de campagne pourrait s’annoncer tendue avec le main-
tien d’une forte demande du bassin méditerranéen malgré des prix élevés (l’Égypte vient ainsi d’acheter encore 120 000 t. de blé russe). En Europe, le blé reste au-dessus de € 200 la tonne. Si la Roumanie a levé son embargo (qui n’a duré qu’une semaine…) il ne restait plus à l’Ukraine que 2 mt de blé à exporter sur les trois mois à venir. Par contre, l’horizon est bien sombre pour le maïs qui subit de plein fouet la crise pétrolière et donc celle de l’éthanol et dont la chute des cours depuis le début de l’année est désormais proche de 20 %. Près de la moitié de la capacité de production d’éthanol aux États-Unis est à l’arrêt et la situation ne risque pas de s’améliorer à court terme. Donald Trump est pris entre les intérêts divergents de « Big Oil » et de « Big Corn », ce qui électoralement n’est pas facile ! La seule réponse de l’administration a été d’augmenter les aides de la politique agricole : l’agricul- ture devrait en effet récupérer $ 23,5 milliards du CARES Act. Le contraste est grand avec l’Europe où le commissaire européen à l’agriculture, le polonais Janusz Wojciechowski, a déclaré qu’il n’avait aucun budget pour répondre aux demandes des États membres et de filières. La Politique agricole commune est bien morte !
Ce sont d’ailleurs les filières animales qui souffrent le plus. La perte des débouchés d’une partie des produits frais et ultra frais a poussé les industriels vers des produits de conservation (beurre, poudres, fromages) dont les marchés mondiaux, aux équilibres fragiles, sont devenus excédentaires. Les prix en Europe et en Océanie sont en forte baisse, ce qui ne manquera pas de se répercuter sur les prix payés à la production (aux États-Unis et au Royaume-Uni, des éleveurs en sont réduits à jeter leur lait faute de débouchés). Cette crise laitière pourrait être l’une des plus importantes de celles provoquées par le coronavirus. De plus, cela poussera à une augmentation des mises en réforme des vaches laitières et donc des abattages et de la production de viande bovine à un moment où dans de nombreux pays le confinement modifie les habitudes de consommation des produits carnés. La seule lueur positive vient – une fois encore – de Chine ! Il ne faut pas oublier, en effet, la peste porcine africaine ! La production chinoise de viande porcine a diminué de 29 % au premier trimestre 2020 à 10,3 mt. Celle de l’ensemble des viandes est en recul de 19,5 % à 18,1 mt. Les importations chinoises de viande de porc au premier trimestre ont doublé pour atteindre le million de tonnes. Ceci explique le maintien de cours soutenus en Europe malgré la concurrence accrue des États-Unis sur le marché chinois.

De confinements en incertitudes

Alors que nombre de pays annoncent de premières mesures de déconfinement et que d’autres restent dans l’incertitude la plus totale, les quelques chiffres tant économiques que sanitaires qui circulent sont marqués au coin du doute. Plus que jamais, l’économiste – tout comme le trader – ont besoin d’un crayon, mais surtout d’une gomme pour effacer ce qu’il vient d’écrire, ce qu’il pensait et que la réalité contredit. Gardons-nous de trop de spéculations sur un « monde d’après » trop vite idéalisé. L’atterrissage post-coronavirus sera partout bien difficile et la seule certitude à ce stade est celle de la montagne de dettes qu’il faudra assumer, voire même commencer à payer. Rarement, en tout cas, l’arbitrage entre la vie humaine – et donc la santé – et la vie économique – et donc la croissance – aura été aussi difficile à mettre en œuvre. N’est-ce pas une invitation à relire Aristote et sa Politique !

 


 

Save the Date :  Prochain Déjeuner Cyclope, le 9 Juillet 2020

Le prochain déjeuner du Cercle aura lieu le 9 juillet 2020. Une occasion unique de passer en revue les tendances des principaux marchés, les prévisions «post-coronavirus» et surtout d’assister à la présentation du “Commodity Yearbook” du Cercle Cyclope.
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